Jeûne thérapeutique et inflammation
Rappelons tout d’abord, même si cela peut paraître évident, qu’un jeûne thérapeutique ne peut pas se substituer à un traitement médical. C’est une approche thérapeutique complémentaire, utilisée comme telle par certains médecins ou dans des centres de cure spécifiques (le jeûne en tant que
thérapie complémentaire est assez répandu dans certains pays comme la Russie ou l’Allemagne). Mais surtout, il n’est pas conseillé de se lancer seul et sans encadrement ni avis médical. Jeûner, c’est arrêter de manger, tout simplement. Cette pratique existe, semble-t-il, depuis la nuit des temps et est inscrite dans nombre de religions : carême chez les catholiques, ramadan chez les musulmans, Yom Kippour chez les juifs… D’un point de vue religieux et spirituel, le jeûne est abordé comme une période de purification ou de pénitence. Le jeûne en tant que traitement médical remonte lui aussi aux temps anciens. Hippocrate en aurait fait l’éloge 370 ans av. J.-C. et des médecins perses, romains, suisses ou russes ont eux aussi, à un moment ou à un autre, préconisé le jeûne thérapeutique comme remède (sans pour autant fonder leur démarche sur des résultats scientifiques). Il faut attendre la fin du XIXe siècle, avec le médecin américain Isaac Jennings, et les années 1960 avec les travaux entrepris par des chercheurs russes pour que la science, enfin, se
penche de plus près sur le jeûne thérapeutique. Même si aucune étude n’a établi avec précision les bienfaits du jeûne sur la santé, certains praticiens partout dans le monde et quelques écoles hygiénistes américaines le recommandent néanmoins comme traitement à part entière. Pour autant,
la pratique du jeûne thérapeutique reste encore aujourd’hui controversée. Les hommes comme les animaux ont développé des stratégies pour survivre au manque de production de nourriture propre aux saisons. Le corps humain est fait pour emmagasiner des réserves de graisses et de muscles en temps d’abondance afin de les utiliser lors de situations de manque. Il s’agit d’une capacité physiologique inscrite dans nos gènes, dont nous avons perdu
l’habitude, mais dont nous avons grand besoin.
À qui le jeûne thérapeutique peut-il être recommandé ?
Le jeûne peut être recommandé autant à des personnes en bonne santé qu’à des personnes souffrant de maladies « de l’excès », d’hypertension, de diabète de type 2, d’obésité, d’addictions (alcool, cigarettes). Mais le jeûne peut être recommandé pour toutes maladies inflammatoires et douloureuses comme l’arthrite, la colite, les allergies, la névrodermite, les migraines les maladies cardiovasculaires. Enfin il peut être conseillé aux personnes atteintes de burn-out, dépressives d’épuisement , ou en quête de sens. Le jeûne représente une excellente thérapie tout autant qu’une mesure de prévention. Moins la personne est en bonne santé plus il est important d’être accompagné lors de son jeûne.
Quels sont les effets physiologiques du jeûne thérapeutique ?
Que se passe-t-il réellement dans notre organisme en période de jeûne ? Les scientifiques ont des éléments de réponse intéressants et ont pu observer ce qui se passe chez certains mammifères jeûneurs, comme le manchot empereur capable de jeûner pendant de très longues périodes. In vivo, les chercheurs ont constaté que le jeûne augmentait la résistance de l’organisme au stress oxydatif et allongeait l’espérance de vie des cellules. D’autres recherches ont montré que les paramètres biologiques d’une personne en état de jeûne variaient de façon significative. Les taux de cortisol, d’insuline, de dopamine ou encore de sérotonine sont modifiés, ce qui entraîne des changements biologiques et métaboliques aux conséquences variables : action anti-inflammatoire, diminution du stress, sensation de calme et de plénitude, activation des mécanismes de détoxification des cellules, régulation du taux d’insuline…
Quelles indications thérapeutiques au jeûne ?
Une étude parue dans la revue scientifique The Lancet a établi qu’un jeûne thérapeutique de 10 jours suivi d’un régime végétarien de 13 mois améliorait notablement les symptômes en cas d’arthrite rhumatoïde. Le jeûne semble d’ailleurs avoir des effets bénéfiques pour toutes les formes de douleurs articulaires et pourrait également être un recours en cas d’hypertension, de diabète, d’allergies, de maladies inflammatoires chroniques, de syndrome de l’intestin irritable… D’autres publications montrent que le jeûne thérapeutique pourrait atténuer les douleurs chez les personnes souffrant de fibromyalgie. . Différentes publications scientifiques dans le domaine de la longévité montrent également qu’après 4 ou 5 jours de jeûne, cellules et structures endommagées du corps sont remplacées grâce à l’activation de cellules souches dans plusieurs organes. Une régénérescence se met en place avec un effet de longévité exceptionnel qui, jusqu’à présent, n’avait jamais été démontré.
Chez les patients atteints de cancer, plusieurs études ont montré qu’un jeûne thérapeutique (encadré évidemment) pouvait réduire les effets secondaires liés aux chimiothérapies. Une recherche de pointe a pu observer que le processus de jeûne freine la prolifération tumorale et affaiblit les cellules tumorales par rapport aux cellules saines.
De nombreuses publications montrent que, dans le cadre de maladies métaboliques, le jeûne provoque une baisse de poids ainsi qu’une normalisation de la tension artérielle. Les antidiabétiques oraux peuvent être diminués, voire arrêtés. Mais, pour en maintenir les effets positifs, il est généralement nécessaire de changer son style de vie : la façon de s’alimenter, la gestion du stress et de pratiquer de l’exercice physique.
Le jeûne a l’effet naturel de médicaments hyperpuissants tels que les antihypertenseurs, les antidiabétiques, les anti-inflammatoires, les antilipidémiques, les antidépresseurs entre autres. Tout change quand on jeûne, que cela soit au niveau du métabolisme, de l’expression génétique ou de l’humeur. Certaines personnes arrivent à se débarrasser d’un symptôme en une seule fois, mais la plupart d’entre elles prennent l’habitude de jeûner régulièrement, après avoir « réactivé » cette capacité physiologique.
En quoi l’état de jeûne a une action sur l’inflammation ? :
C’est quoi l’inflammation ?
L’inflammation est un processus de réponse naturel d’un organisme face à une agression qui va se mettre en place quand l’organisme subit une agression : chimique, toxique, microbienne, traumatique.
La réaction inflammatoire est essentiellement locale, avec une mobilisation de cellules qui jouent un rôle important dans l’inflammation, les globules blancs. Localement les globules blancs sécrètent des molécules qui vont conduire à une vasodilatation des vaisseaux. Cette dilatation des vaisseaux permet l’afflux d’autres cellules qui viennent en renfort pour lutter contre l’agression. Si l’inflammation ne peut pas être contrôlée, le système de défense devient de plus en plus important, avec une mise en place d’une réponse du système immunitaire.
La réaction inflammatoire locale va se manifester par une rougeur, une douleur, une chaleur et un gonflement, qui se traduit par le gonflement des vaisseaux et l’afflux de sang de cellules pour la défense locale. La réaction inflammatoire est indispensable à l’organisme : elle permet l’élimination des agresseurs et assure la réparation des lésions. Elle s’arrête lorsque les agressions disparaissent. L’inflammation, c’est donc notre système de défense, qui en temps normal, est bénéfique.
Cependant, lorsque celle-ci est trop importante ou inappropriée, elle peut être à l’origine de phénomènes pathologiques. De nombreuses voies de régulation peuvent moduler, directement ou indirectement, la réponse inflammatoire. Parmi elles, les voies de régulation du métabolisme cellulaire apparaissent de plus en plus clairement impliquées dans le contrôle du statut inflammatoire de nombreuses cellules immunitaires. Domaine de recherche en plein essor, l’immunométabolisme pourrait permettre de révéler des mécanismes physiopathologiques à l’origine de l’apparition de nombreuses maladies. Avec l’occidentalisation des habitudes alimentaires et la consommation importante d’aliments hautement énergétiques, l’excès d’apport calorique est fréquemment observé dans la population mondiale. Il serait responsable de l’établissement d’un état inflammatoire systémique chronique [1], en lien avec le développement de maladies métaboliques à composante inflammatoire, telles que le diabète de type 2 ou l’athérosclérose [2]. L’excès d’apport calorique est également impliqué dans la survenue de maladies inflammatoires et auto-immunes [3]. À l’inverse, il a été montré que le jeûne ou les régimes hypocaloriques ont un effet protecteur vis-à-vis de ces maladies [4,5]. Des études cliniques de jeûne intermittent (inférieur à 24 heures) ont montré une réduction des taux de cytokines pro-inflammatoires, telles que l’interleukine (IL) 1β, l’IL-6 ou le TNF-α (tumor necrosis factor alpha) [6]. Cependant, les mécanismes par lesquels une réduction de l’apport calorique module l’inflammation systémique restent encore mal compris.
Qu’en est-il des cellules immunitaires ?
C’est dans ce contexte que Jordan S, Tung N, Casanova-Acebes M, et al. ont étudié l’impact du jeûne sur l’équilibre des cellules immunitaires, et tout particulièrement des monocytes [7]. Ces cellules circulent sélectivement vers les sites inflammatoires et y jouent un rôle clé dans l’initiation et le maintien de l’inflammation via la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires, dont l’IL-1β, l’IL-6 et le TNF-α. Au niveau tissulaire, les monocytes se différencient en macrophages également producteurs de nombreux médiateurs de l’inflammation [8].
Chez des sujets sains, les auteurs ont observé une diminution des monocytes sanguins suite à un jeûne de 19 heures, leur taux restant toutefois dans les limites physiologiques correctes. Une expérience similaire réalisée chez la souris a montré que suite à un jeûne court de 4 heures (équivalent à un jeûne nocturne chez l’homme), le taux de monocytes avait également diminué, particulièrement le sous-type de monocytes pro-inflammatoires Ly-6Chigh. [7].
Qu’en est-il de la modification des gènes ?
Les auteurs ont observé, après un jeûne court, que la modification du profil d’expression de plus de 2 700 gènes au sein des monocytes était à l’origine d’un ralentissement de leur métabolisme énergétique, comme en témoigne la réduction conjointe de leur consommation en oxygène et de l’acidification extracellulaire. Les réarrangements du cytosquelette nécessaires à la migration étant l’un des processus cellulaires les plus énergivores [11], les monocytes persistent alors à l’écart de la circulation sanguine et n’exercent ainsi plus leur action pro-inflammatoire systémique [7].
Une expérience concernant la sclérose en plaque
La restriction calorique ayant été associée à une protection vis-à-vis de maladies inflammatoires chroniques et auto-immunes [4], les auteurs se sont intéressés à l’effet du jeûne intermittent chez des souris atteintes d’encéphalomyélite auto-immune, modèle expérimental de la sclérose en plaques, dans laquelle l’implication des monocytes pro-inflammatoires est connue [12]. Ils ont montré que le jeûne induisait une amélioration des symptômes associée à une réduction du nombre de monocytes pro-inflammatoires infiltrant la moelle épinière. Ces derniers présentaient d’ailleurs une perte de leur signature transcriptomique pro-inflammatoire, impliquant notamment l’IL-1β et le TNF-α.
Par ailleurs, les résultats de cette étude mettant en évidence la réduction de la mobilisation périphérique des monocytes pro-inflammatoires ont amené les auteurs à se demander si le jeûne altérait la mise en place de réactions inflammatoires aiguës, indispensables pour lutter contre une infection par des agents pathogènes. À la différence d’une privation alimentaire prolongée (supérieure à 48 heures), ils ont montré qu’un jeûne court ne nuit pas à la réponse antimicrobienne de souris infectées par la bactérie Listeria monocytogenes, en ce qui concerne le recrutement monocytaire au site infectieux [7]. Le jeûne réduit l’inflammation associée aux maladies inflammatoires chroniques sans altérer la réponse immunitaire aux infections aiguës
Conclusion et Perspectives thérapeutiques
L’ensemble de ces résultats démontre la capacité d’un jeûne court ou intermittent à atténuer les effets délétères des monocytes pro-inflammatoires, sans altérer pour autant leur propriété de lutte contre des agents exogènes. Ces données annoncent probablement l’émergence de nouvelles stratégies thérapeutiques, dont le jeûne court, pour la prise en charge de maladies métaboliques, auto-immunes ou inflammatoires chroniques.
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